Les Meulières de Claix
Le Conservatoire Régional d’Espaces Naturels de Poitou-Charentes agit depuis 1993 pour : « la sauvegarde, la protection, la mise en valeur et l’étude des sites, milieux et paysages naturels de la région Poitou-Charentes qui représentent un intérêt écologique, floristique, faunistique, biologique, géologique et paysager remarquable et de tous sites à valeur écologique potentielle ».
Vous trouverez ci-dessous le lien permettant d’accéder à la fiche descriptive de ce site, élaborée par le Conservatoire Régional d’Espaces Naturels de Poitou-Charentes :
http://www.cren-poitou-charentes.org/Info-site-Meulieres-de-Claix.html
ainsi que les dernières lettres d’information du programme Natura 2000 sur le site des « Chaumes du Vignac et de Clérignac » :
Les échos du Vignac – Septembre 2014
Les échos du Vignac – Juin 2013
Coordonnées :
Conservatoire Régional d’Espaces Naturels de Poitou-Charentes
Antenne Charente
46, rue de Québec
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membre du réseau des Conservatoires d’espaces naturels
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Résultats des fouilles archéologiques et des recherches historiques menées en 2008
« Le lieu-dit Les Meulières correspond à l’extrémité d’un plateau calcaire situé à quinze kilomètres au sud d’Angoulême et à cheval sur les limites communales de Claix et de Roullet-Saint-Estèphe. Comme son nom l’indique, ce plateau a servi de cadre à des carrières de meules : il a été percé par plus de 190 fosses rectangulaires, toutes parallèles les unes aux autres, dont les plus étendues mesurent une cinquantaine de mètres de longueur pour cinq mètres de profondeur. L’ensemble couvre treize hectares, traduisant ainsi l’ampleur industrielle de l’ancienne exploitation. Sa production a dépassé 50.000 meules, ce qui en fait l’une des plus grandes meulières de l’Ouest de la France.
Le site appartient actuellement au Conservatoire Régional des Espaces Naturels de Poitou-Charentes (CREN) et a bénéficié d’un arrêté de protection de biotope, car il abrite une flore extrêmement rare en France. Soucieux de mieux connaître l’histoire de ce site exceptionnel, le CREN a sollicité l’intervention du Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (UMR 5190, CNRS-Université Grenoble 2), depuis longtemps déjà investi dans la recherche sur les carrières de meules. Les opérations se sont étirées tout au long de l’année 2008 ; elles ont consisté en recherches en archives, en analyses en laboratoires et en fouilles et relevés de terrain.
Les recherches effectuées aux Archives nationales, aux Archives départementales de Charente et à celles de Charente-Maritime ont montré que le site de Claix avait été exploité entre le XVIème siècle et le début du XIXème siècle, par une dynastie de marchands de meules : les Parenteau. Bien que ne possédant pas le gisement, détenu jusqu’au début du XVIIIème siècle par les seigneurs de Claix, les Parenteau n’en contrôlaient pas moins les précieux bancs de pierre meulière ; c’est eux qui exploitaient la plupart des meulières du sud-Charentais, en même temps qu’ils géraient la seigneurie et habitaient dans une maison-forte. Les meules extraites de leurs carrières étaient acheminées par voie de terre ou par des gabarres descendant la Charente, jusqu’à une centaine de kilomètres à la ronde ; la liste des dépôts de meules établis sur le fleuve jusqu’à Cognac et Saintes a pu être dressée, de même que les conditions de vente et de transport des pierres.
Le succès du calcaire de Claix tint à deux de ses caractéristiques majeures : d’une part son aspect en éponge, qui lui conférait une certaine abrasivité, et d’autre part à sa teinte blanche très pure, qui lui permettait de moudre le froment sans le salir, et en fin de course de donner un pain blanc. Ainsi ne trouve-t-on les « meules blanches de Claix » que dans les « moulins blancs » exclusivement destinés au froment. L’apport des textes sur la qualité de la pierre a été complété par une double étude pétrographique. Lames minces, analyse chimique et tests mécaniques ont livré les caractéristiques principales de la roche (Université Grenoble 1 et CRPG de Nancy), tandis qu’une spectrographie des silicates a permis d’élaborer un référentiel, qui autorisera à terme la détermination d’une éventuelle provenance claibertine des meules retrouvées en fouilles ou conservées en dépôt (étude Jacques Gaillard et Jean-Claude Mercier, UMR 6250 LIENSs).
Les opérations sur le terrain pour leur part, se sont déroulées d’août à décembre 2008. Elles ont d’abord consisté en une topographie exhaustive de tous les fronts de taille, effectuée par la société Topo16 au prix d’un travail considérable, puisque plus de 20.000 points ont été relevés à cette occasion. Les fouilles quant à elles, ont été effectuées en août et en septembre 2008 par une équipe de 13 salariés ou étudiants en histoire et en archéologie de l’université de Grenoble. Quatre zones distinctes ont été ouvertes ; outre une voie de desserte des meulières, à ornières taillées dans le roc et dédoublées (zone IV), les fouilles ont mis au jour trois chantier de taille des meules : une carrière en gradins située en bordure du plateau, à l’endroit où la roche émergeait et qui était susceptible d’avoir été exploitée en premier (zone I) ; une petite fosse implantée à proximité immédiate, et donc travaillée dans une période ancienne (zone II) ; enfin une grande tranchée située à l’extrémité opposée du plateau et supposée dater de la fin de l’exploitation (zone III). Au total, ces quatre secteurs de fouilles ont représenté une surface de 220 m2. Aucun de ces sondages n’a été rebouché à l’issue de l’opération, afin de permettre une mise en valeur à brève échéance des structures découvertes.
Parmi les acquis du chantier, l’un a été inattendu : une dizaine de pièces de silex taillé, essentiellement des éclats et des nucleus mais aussi des outils finement taillés, en l’espèce un petit denticulé et un éclat laminaire avec troncature distale. Retrouvé sur les déchets de taille de meules de la zone I, ce mobilier lithique atteste de la destruction par les meuliers d’un site de plein-air, attribuable au paléolithique moyen ou supérieur.
L’acquis principal réside dans l’observation des techniques d’extraction des meules, leurs permanences et leurs évolutions sur une longue période. Parmi les permanences, on remarque que le plan de sédimentation est systématiquement respecté et donne toujours lieu à des extractions en lits ; de même, la connaissance du matériau et de ses défauts guide sans cesse les meuliers pour l’orientation de leurs fosses, leur étendue – délimitée par un réseau de diaclases – et leur profondeur. On note enfin une utilisation constante du pic, pour l’ouverture en deux ou trois passes des fossés annulaires détourant les ébauches de meules. Les évolutions sont nombreuses et conséquentes. A l’extraction en poche et en gradins de la zone I a succédé très tôt une extraction en tranchées ouvertes et en paliers qui caractérise l’ensemble du plateau des Meulières. A l’intérieur de ces tranchées, les meules ont d’abord été tirées en position décalée d’un palier à l’autre (zone II) puis en position strictement superposée, aboutissant à la formation de « tubes » de 5 m de haut, correspondant à l’enlèvement de 8 à 9 meules sur la totalité de la hauteur du front (zone III). A ces changements dans la stratégie de mise en œuvre générale s’ajoute une évolution du mode de décollement des ébauches : en zone I, la plus ancienne, les meules ont été détachées du banc par une seule grosse emboîture, dans laquelle prenaient vraisemblablement place un ou des coins de bois ; en zone II, ce sont de longues emboîtures linéaires, étirées sur 1/3 de circonférence de la meule, qui ont été observées ; enfin en zone III, la plus récente, le décollement des cylindres était obtenu à l’aide d’une dizaine de petites emboîtures triangulaires, dans lesquelles les meuliers glissaient des coins de fer. Enfin, l’évolution concerne la taille des meules extraites. A ses débuts (zones I et II), la carrière de Claix a fourni des meules rotatives manuelles de 50 à 60 cm de diamètre et des meules de moulin de 1,10 à 1,20 m de diamètre ; puis elle n’a plus produit que des meules de moulins, dont le diamètre s’est peu à peu accru jusqu’à atteindre 1,73 m de diamètre au terme de l’exploitation (zone III).
La chronologie des différentes zones fouillées repose sur l’exploitation des informations tirées des archives et des objets – très peu nombreux – retrouvés en fouille. La zone III, avec sa grande fosse percée de hauts « tubes » et ses meules gargantuesques décollées par des petits coins métalliques, est attribuée aux derniers temps de l’exploitation, entre la fin du XVIIIème siècle et les années 1840. La zone II, caractérisée par le décalage des enlèvements, l’extraction simultanée de meules manuelles et de meules de moulins, et enfin l’emploi d’alvéoles linéaires, est d’une datation plus malaisée ; plusieurs indices invitent à la dater du haut Moyen-Âge. Enfin la zone I, qui a vu l’extraction successive de meules à mains puis de petites meules de moulins, a été abandonnée entre la fin de l’Antiquité et le début de l’époque carolingienne, selon les données fournies par quelques tessons de céramiques découverts dans les niveaux postérieurs à son exploitation et datés par thermoluminescence. Ainsi, la campagne de 2008 a révélé un site meulier exploité peut-être dès la fin de l’Antiquité et en toute certitude à une échelle industrielle dès l’époque mérovingienne – une découverte d’autant plus remarquable qu’il s’agit à ce jour de la première carrière de meules de cette époque fouillée en France.
Ce sont ainsi près de 15 siècles d’industrie meulière qui se sont déroulés sur le plateau de Claix. Cette longue durée, ainsi que l’ampleur des volumes extraits et l’étendue du bassin de commercialisation, disent bien l’importance remarquable que revêtait autrefois la fabrication des meules à moudre. La nourriture et donc la vie des populations en dépendaient. La principale avancée des fouilles de Claix se réfère à la qualité et à l’aspect du pain pour des périodes reculées, encore très mal documentées de ce point de vue. Les meules de Claix étaient aux XVIème-XIXème siècles exclusivement vouées à la mouture du froment, car elles « moulaient blanc » et permettaient d’obtenir un pain blanc, synonyme de saveur, de raffinement et de prestige social. Pour moudre le seigle, les meuniers s’approvisionnaient plutôt auprès des grandes carrières d’Aignes-et-Puypéroux, de Chadurie ou de Saint-Crépin-de-Richemont, distantes de 10 à 40 kilomètres seulement : les grès qu’elles fournissaient s’avéraient nettement plus abrasifs que le calcaire de Claix et leur teinte grise de peu d’importance puisqu’elle se fondait dans la couleur foncée du pain de seigle. Or de ces trois carrières de grès, l’une au moins – celle de Saint-Crépin, avait déjà atteint une ampleur industrielle durant l’Antiquité. L’existence des meulières de Claix dès la fin de l’Empire Romain ou à l’époque mérovingienne pourrait donc bien signifier une attention envers la couleur immaculée du pain dès cette période lointaine et bien avant ce que l’on pensait jusqu’ici.»
Alain BELMONT
Professeur d’histoire moderne
Université GRENOBLE 2
LARHRA (UMR CNRS 5190)